Rare Revolution Magazine (Magazine Révolution Rare)

RARE Revolution Magazine (Magazine Révolution Rare), article, « Franchir les frontières pour bénéficier du traitement d’une affection rare : Le parcours de Lysiane »

RARE Revolution Magazine (Magazine Révolution Rare)

Tel que publié dans le numéro d’Hiver 2019/2020, No. 014 du Magazine Révolution Rare

Franchir les frontières pour bénéficier du traitement d’une affection rare : Le parcours de Lysiane

Lysiane est un bébé français qui est née avec une maladie rare représentant un danger de mort, appelée la Séquence Pierre Robin. Quand le système de santé français a refusé à Lysiane l’autorisation de recevoir en Allemagne un traitement sûr et médicalement prouvé pour sa maladie rare, sa famille s’est trouvée au cœur d’un défi pour la médecine transfrontalière, dont le dossier a été porté devant les plus hautes instances du droit européen. Voici l’histoire de Lysiane.

Écrit par Philippe Pakter, parent et militant de la cause des patients atteints de maladies rares, avec la participation de Joseph Sadek (interne) et Nicola Miller, du magazine RARE Revolution

« Notre parcours de patient a en fait commencé bien avant la naissance de Lysiane. Les experts spécialisés dans la maladie rare de ma fille, la Séquence Pierre Robin, ont identifié plusieurs signes avant-coureurs connus qui apparaissent pendant la période prénatale, indiquant aux médecins que le bébé pourrait naître avec la Séquence Pierre Robin. Malheureusement, notre hôpital local, qui n’était pas un Centre d’Expertise pour ce syndrome, a négligé tous ces signes pourtant bien connus. Ni ma famille, ni l’équipe de la salle d’accouchement ne prévoyaient en aucune façon la naissance d’un bébé avec la Séquence Pierre Robin. Comme il est souvent le cas avec ces bébés, Lysiane est née avec une urgence respiratoire. À notre grand choc, Lysiane a dû être transportée d’urgence à l’Unité de Réanimation Néonatale, qui offre le plus haut niveau de soins critiques. Elle a été branchée à de nombreux moniteurs, câbles, tubes et à un appareil respiratoire. Lors d’une de nos visites dans cette salle, nous avons vu un autre bébé mourir. Le bébé était à plusieurs lits de celui de Lysiane, et c’était horrible. Lysiane devait rester dans son lit, branchée au respirateur, et ma compagne et moi-même étions obligés de partir. Une fois dehors, nous nous sommes regardés – et en même temps, nous nous sommes mis à pleurer. Lysiane pourrait être la suivante. Lysiane a finalement été transférée de l’Unité de Réanimation Néonatale à l’Unité de Soins Intensifs, ce qui était pour nous un grand pas en avant – elle est arrivée aux Soins Intensifs. Tant de choses dans la vie sont relatives ; comme beaucoup de parents de personnes atteintes de maladies rares, nous avons compris cette leçon très tôt. »

En France, Lysiane, branchée à un respirateur dans l’Unité de Soins Intensifs. Lysiane est restée aux Soins Intensifs pendant cinq semaines consécutives, sans date de sortie prévue.

La Séquence Pierre Robin, également connue sous le nom de Syndrome Pierre Robin, est une maladie rare qui touche environ un bébé sur 10 000. Elle est associée à des problèmes respiratoires engageant potentiellement le pronostic vital, des difficultés d’alimentation, des malformations oro-faciales, des atteintes du système nerveux central, des anomalies neurologiques et d’autres problèmes médicaux. Les bébés atteints de cette maladie rare sont confrontés à de nombreux risques, notamment le manque d’oxygène, les lésions cérébrales, le retard de croissance et la mort. Environ 50 % des bébés nés avec la Séquence Pierre Robin sont également atteints d’une autre maladie ou affection rare, ce qui augmente encore la complexité et le risque. Pour ces raisons, un bébé atteint de la Séquence Pierre Robin nécessite une équipe multidisciplinaire complète d’experts hautement spécialisés, qui ont une expérience dans la prise en charge des bébés atteints de cette maladie rare et complexe.

Pendant que Lysiane était aux Soins Intensifs, branchée au respirateur, la famille de Lysiane a mené des recherches intensives sur cette maladie rare, ses symptômes et les éventuels traitements. Désespérée de faire sortir Lysiane des Soins Intensifs, et voulant éviter une chirurgie risquée et invasive, la famille de Lysiane a trouvé un traitement non chirurgical hautement spécialisé et médicalement prouvé pour la Séquence Pierre Robin, développé par une équipe multidisciplinaire d’experts de cette maladie à l’hôpital universitaire de Tübingen, en Allemagne. Ils ont lu de nombreuses études médicales sur cette technique allemande, la plaque palatine de Tübingen, ou ‘traitement TPP’. Ils ont contacté l’équipe d’experts allemands derrière cette méthode, pour en discuter plus en détails, et ont finalement décidé de rendre visite à l’équipe allemande en personne.

« Toute une série d’études médicales internationales évaluées par des pairs, remontant à plus de dix ans, prouve que le traitement TPP règle de manière sûre et efficace les problèmes de respiration des bébés atteints de la Séquence Pierre Robin, libère le bébé du respirateur, minimise la durée d’hospitalisation et surtout évite de recourir à une chirurgie invasive, risquée et douloureuse. Au lieu de compter sur la chirurgie, qui devrait être le dernier recours pour les nouveau-nés, le traitement TPP utilise un dispositif médical oral hautement spécialisé, la plaque palatine de Tübingen, qui est faite sur mesure pour chaque bébé atteint de cette Séquence Pierre Robin. Nous avons été extrêmement heureux d’avoir trouvé de telles preuves – ‘les faits’ dans la Médecine fondée sur les faits (‘Evidence-Based Medicine’) et d’apprendre qu’une solution viable pour notre fille était disponible. Néanmoins, c’est surtout la visite en personne de ma famille à l’hôpital universitaire de Tübingen qui nous a vraiment convaincus. Non seulement nous avons rencontré l’équipe hautement spécialisée des experts de la Séquence Pierre Robin et leur avons posé d’innombrables questions, mais nous avons également pu rencontrer un jeune couple qui avait fait tout ce chemin depuis l’Autriche pour que son nouveau-né puisse recevoir cette intervention à Tübingen. Nous avons vu leur bébé, qui était né un jour avant Lysiane. Leur bébé dormait sur le dos – c’est dans cette position que les bébés atteints de la Séquence Pierre Robin ont le plus de mal à respirer – et pourtant ce bébé respirait paisiblement, librement, sans effort – c’était totalement surréaliste. Et le bébé est sorti de l’hôpital exactement le même jour ! Pendant ce temps, Lysiane était dans l’Unité de Soins Intensifs française, branchée au respirateur – et aucune date de sortie n’était prévue. Nous avons décidé donc de faire bénéficier Lysiane de ce traitement TPP. Conformément aux lois et procédures de l’UE, nous, les parents de Lysiane, tous deux citoyens de l’UE, avons soumis une demande au système national d’assurance maladie français. Aucun autre traitement non invasif n’étant disponible en France, nous avons demandé une autorisation officielle, appelée un formulaire ‘S2’, pour permettre à Lysiane, elle-même citoyenne française, de bénéficier de cette intervention sûre, hautement spécialisée et médicalement éprouvée en Allemagne.

Les autorités françaises ont rejeté la demande de Lysiane ; elles ont affirmé que la prise en charge française de la Séquence Pierre Robin est ‘identique ou présentant le même degré d’efficacité’ que le traitement TPP de l’Allemagne. À ce stade nous avions déjà une grande expérience avec la prise en charge française puisque Lysiane recevait le traitement français depuis le jour de sa naissance à l’hôpital français – la machine de ventilation – voilà ce que les autorités françaises ont qualifié de prise en charge, une machine de ventilation ! Les autres options de traitement en France étaient chirurgicales, notamment une procédure appelée labioglossopexie. La labioglossopexie a été proposée pour la première fois il y a un siècle, vraiment, il y a 100 ans. Elle consiste à fixer la langue du bébé à sa lèvre inférieure; par rapport au traitement TPP, aucune de ces options n’était comparable. »

Refus du droit aux soins de santé transfrontaliers
En Europe, il devrait exister un esprit de communauté et de cohésion entre les pays membres de l’UE. Pour les personnes vivant en Europe, des lois ont été adoptées qui garantissent clairement aux citoyens de l’UE le droit d’accéder aux services de santé transfrontaliers, dans d’autres pays européens. Mais que faire quand ces droits sont bafoués ?

« Le traitement TPP dépend du temps; un bébé atteint de la Séquence Pierre Robin doit porter le dispositif TPP dans sa bouche pendant 3 à 5 mois au total, puis ne plus jamais avoir à le porter ensuite. Il s’agit d’un traitement ponctuel. Toutefois, la période durant laquelle le bébé doit porter le dispositif TPP devrait commencer peu de temps après la naissance. Ma famille et moi-même étions persuadés que si nous passions plusieurs mois à en débattre avec les fonctionnaires de L’Assurance Maladie, Lysiane perdrait à jamais la possibilité de bénéficier de cette intervention. Nous ne sommes pas riches, alors mon père, le grand-père de Lysiane, a demandé un prêt bancaire, en utilisant sa maison comme garantie pour ce prêt, et a envoyé l’argent à l’hôpital allemand. Nous avons ensuite transféré Lysiane de France en Allemagne pour qu’elle puisse bénéficier de l’intervention, en payant le traitement grâce à ce prêt bancaire. Lysiane a bénéficié du TPP, qui, comme promis, l’a libérée définitivement de sa machine de ventilation. Comme elle n’avait plus besoin de cette machine, nous avons pu enfin quitter l’hôpital, la ramener chez elle, l’emmener au parc, l’accompagner au supermarché, rendre visite à ses grands-parents et à ses proches, tout – une mobilité totale, une qualité de vie radicalement meilleure. Enfin, Lysiane a pu bénéficier de ce traitement efficace, de courte durée et surtout non invasif, le TPP! »

Lysiane, festive, se prépare pour Noël, sans tubes ni moniteurs gênants et chez elle avec sa famille.

Recours contre le refus
Les parents de Lysiane ont déposé un recours contre le refus du gouvernement français à autoriser le traitement TPP en Allemagne, un traitement médicalement prouvé. Ils ont rassemblé un grand nombre d’alliés. Dans l’une des nombreuses lettres de soutien qu’ils ont reçues, un groupe de patients atteints de maladies rares en Scandinavie a décrit le cas de Lysiane comme ‘un exemple dévastateur de la lutte à laquelle de nombreux patients et familles de maladies rares ont été confrontés et continuent de se heurter, ici même en Europe’. Un membre éminent du Parlement européen français a écrit une lettre officielle à la ministre française de la santé, Agnès Buzyn, qualifiant ce refus ‘d’inacceptable’ et de juridiquement non fondé. Le Forum européen des patients (EPF), la plus grande organisation de défense des patients dans toute l’UE, a envoyé une lettre officielle d’appui directement au Président français, Emmanuel Macron. Dans leur lettre, ils déclarent que cette situation est ‘choquante’ et que le refus de la France est juridiquement non fondé. EURORDIS, l’une des plus grandes organisations de patients atteints de maladies rares dans le monde, s’est engagée à accompagner les parents de Lysiane au tribunal, jusqu’à la Cour de justice de l’Union européenne. Et le réseau SOLVIT de la Commission européenne, après avoir soigneusement analysé cette affaire, a formellement conclu que les autorités françaises étaient en violation du droit européen, tant de La Directive 2011 sur les soins de santé transfrontaliers que du règlement 883 (affaire SOLVIT numéro 2569/17/DE).

Philippe, le père de Lysiane, au sujet des prochaines étapes

« Ce parcours difficile a fait de moi un défenseur de la cause des patients atteints de maladies rares. J’ai créé une organisation à but non lucratif pour sensibiliser à cette maladie rare, la Séquence Pierre Robin, et pour promouvoir les droits de ces bébés. Cette année, j’ai fait plusieurs voyages à Bruxelles, où j’ai eu des rencontres individuelles en tête-à-tête avec des membres du Parlement européen. J’ai organisé avec succès une coalition multipartite de députés européens de tous les grands partis politiques de l’UE : le EPP, le S&D, Renew Europe et les Greens. Cette coalition multipartite au Parlement européen, avec EURORDIS, le Forum européen des patients, des professeurs de droit de l’UE, des experts en politique de santé et divers groupes de patients atteints de maladies rares, aidera ma famille et les autres parents de bébés atteints de la Séquence Pierre Robin à obtenir enfin justice. Le TPP n’est pas un traitement expérimental nouveau et incertain ; son efficacité et sa fiabilité ont été clairement prouvées par de nombreuses études médicales internationales évaluées par des pairs, qui remontent à plus de dix ans. Des bébés d’autres pays membres de l’UE ont été transférés en Allemagne pour y subir cette intervention, y compris des bébés de pays membres européens à faible revenu. Des bébés en provenance de Russie ont été transférés en Allemagne pour y recevoir le même traitement. Certains sont même venus d’aussi loin que la côte ouest des États-Unis d’Amérique et se sont déplacés, sur des distances considérables, vers Tübingen en Allemagne pour y subir cette intervention, qui est une percée médicale.

L’année prochaine une conférence médicale importante réunissant des experts de la Séquence Pierre Robin du monde entier aura lieu. Les médecins internationaux qui organisent cette conférence ont choisi de tenir l’événement à l’hôpital universitaire de Tübingen, le lieu de naissance du traitement TPP. Aucune comparaison médicale objective et impartiale ne peut raisonnablement conclure que la prise en charge française est ‘identique ou présentant le même degré d’efficacité’ que le traitement TPP.

Nous sommes conscients que cela prendra du temps, mais la France devra finalement revenir sur ce rejet – soit volontairement, soit par ordre de la Cour de justice de l’Union européenne. En attendant, nous pensons que Lysiane reste le seul bébé français à avoir été transféré de l’autre côté de la frontière, en Allemagne, pour bénéficier de cette avancée médicale à Tübingen. Des bébés innocents qui paient le prix d’un blocage insensé – c’est vraiment triste et plus que frustrant. »

Philippe estime que l’expérience que lui et sa famille vivent en France met en évidence un problème très répandu auquel sont confrontés de nombreux patients dans le monde entier : la résistance délibérée, la non-coopération et des entraves absolues afin d’empêcher les citoyens de l’UE, y compris les patients atteints de maladies rares, d’avoir accès aux soins hautement spécialisés en Europe. Selon Philippe, ce problème bien connu et grave a été officiellement pris en considération et documenté en début d’année dans le rapport du Parlement européen sur la mise en œuvre de la Directive 2011, rapport A8-0046/2019.

« Des problèmes peuvent survenir en raison d’une incompétence administrative – un manque de compréhension des lois régissant les soins de santé transfrontaliers de l’UE. Mais les problèmes peuvent également résulter de la concurrence entre les médecins; de la réticence d’un généraliste à perdre des patients au profit d’un spécialiste; et voire de l’orgueil même : l’incapacité d’un médecin à admettre qu’un autre médecin peut avoir plus de connaissances, ou peut avoir mis au point un meilleur traitement. Quelle qu’en soit la raison, la situation se résume à ceci : nulle part la logique ou l’impératif moral des soins de santé transfrontaliers ne sont plus évidents que pour les patients atteints de maladies rares recherchant un traitement hautement spécialisé non disponible dans leur État membre d’affiliation – et pourtant c’est exactement ce même groupe de patients qui sont les plus susceptibles de rencontrer des obstacles aux soins transfrontaliers.

Partant du principe que toute société peut être véritablement mesurée dans la manière dont elle traite ses membres les plus vulnérables, le préjudice disproportionné que cette obstruction continue de causer à des patients atteints de maladies rares est absolument honteuse. Il n’y a pas de place pour cela dans l’Europe du 21ème siècle. Le cas de Lysiane soulève une question de principe plus large qui concerne tous les citoyens de l’UE, et qui affecte leur vie quotidienne: si un nouveau-né souffrant d’une maladie rare, immobilisé dans une unité de soins intensifs et connecté à une machine de ventilation, n’a pas le droit d’obtenir un traitement hautement spécialisé, médicalement éprouvé, sûr et rentable pour sa maladie rare dans un autre État membre de l’UE – alors qui a le droit d’obtenir des soins de santé transfrontaliers? »